L’histoire d’Okill Stuart a débuté il y a 98 ans à Saint-Lambert, Québec.
Sir Campbell Stuart, son oncle, n’avait pas d’enfants. Il offre donc aux parents d’Okill de s’occuper de l’éducation d’Okill et de celle de son grand frère. Okill a d’abord étudié au Collège Bishop à Lennoxville, Québec. En 1937, il est envoyé en Angleterre pour poursuivre ses études. Le premier six mois de son séjour se déroule dans une école à Kent, où il apprend à devenir un «gentleman». Après six mois, il est envoyé à l’école Gordonstoun en Écosse. C’est là qu’il rencontre le prince Philip, avec qui il a gardé contact toute sa vie. En 1938, alors que le déclenchement de la guerre est imminent, il est rappelé au Canada. S’il y a une chance qu’il participe à la guerre, ce sera dans l’armée canadienne. Okill à 17 ans.
Mais la guerre ne commence pas immédiatement. Le père d’Okill, pensant à son avenir, décide que si ce dernier veut faire des affaires au Québec, il doit apprendre le français. Son père l’envoi donc travailler dans l’industrie des pâtes et papiers à Chicoutimi, où il reste environ six mois. Okill passe la majeure partie de son temps dans les bois, où il fait de l’arpentage en forêt. Un jour, il rencontre un bûcheron qui leur apprend à lui et ses collègues de travail que la guerre a commencé il y a trois semaines. Ils n’en avaient aucune idée! Okill se rend à Chicoutimi pour acheter une radio. Il retourne ensuite en forêt pour finir son travail et quelques mois plus tard, il est de retour à la maison et se porte volontaire pour aller à la guerre. Pourquoi s’enrôle-t-il? C’était son devoir d’aller à la guerre. Tout le monde à Saint-Lambert se sentait de la même façon. Il s’enrôle, même s’il ne connaît rien à l’armée. Pour le dire dans ses mots, il «ne connaissait pas la différence entre un sous-marin et un avion». Son père avait un ami qui s’était battu pendant la Première guerre mondiale et il était en train de mettre sur pied une batterie pour aller à la guerre. Okill s’enrôle à Montréal pour en faire partie et de là, il quitte pour Petawawa où la batterie devient un régiment.
Les soldats du régiment passent un an au Canada pour apprendre et s’entraîner. Ils quittent ensuite pour la guerre et atteignent l’Écosse en 1942, où ils continuent à s’entraîner. Sa division, la 3ème division, est la seule qui a participé au Jour J. Tous les préparatifs du Jour J on débuté en 1942. À ce moment là, ils ne savent pas vraiment ce qu’est le Jour J, mais ils savent que cela va être important. Ils en apprennent de plus en plus avec le temps. Une fois, avant le Jour J, ils sont envoyés très près des côtes françaises, parce que les Généraux espèrent que les Allemands leur tirent dessus, ce qui permettrait aux Généraux de connaître l’emplacement des fusils et canons. Mais, par chance pour Okill, les Allemands n’ouvrent pas le feu. S’ils l’avaient fait, Okill serait probablement mort à ce moment-là.
Six semaines avant l’invasion, on leur donne un équipement automoteur pour remplacer les canons de campagne de 25 livres, parce que ces nouveaux chars d’assaut avaient ce qu’il fallait pour atterrir dans tous les types de circonstances, comme par exemple sur le sable. C’est d’ailleurs l’équipement qu’ils ont gardé pendant les six semaines suivant l’invasion.
Le 4 juin 1944, le régiment d’Okill est en quartier fermé à Southampton et les soldats savent que quelque chose se prépare. On leur remet des Francs français, de l’argent d’invasion garantie par la Banque d’Angleterre, argent qu’ils pourraient utiliser après avoir atterrie en France, si nécessaire. Le jour suivant, ils quittent Southampton en bateau. Alors qu’ils passent l’île de Wright, on leur donne le signal qu’ils peuvent ouvrir les ordres scellés qu’on leur avait remis. C’est à ce moment là qu’ils apprennent exactement ce qui se passe et où ils vont. En tant que bombardier et assistant-officier, Okill le sait déjà. Pendant la traversé, les soldats jouent au poker durant la moitié de la nuit. Okill dit qu’il ne se souvient pas d’avoir eu peur. Il était occupé.
Tous les véhicules possédent des mines tout autour destinées à être utiliser à leur arrivé en France. Okill et ses collègues décident de ne pas obéir aux ordres et ils lancent les mines par dessus bord. Leur but est d’éviter d’être anéanti si les Allemands tirent sur eux, et c’est une bonne chose qu’ils aient désobéie: d’autres chars d’assaut ont été détruit à cause de ces mines.
Lorsque qu’ils atteignent environ six pieds de profondeur, et malgré le fait que leur véhicule est équipé pour ce type d’atterrissage, ils frappent une mine et s’enfoncent mais réussissent malgré tout à s’en tirer. Le premier véhicule n’a pas cette chance : il frappe une mine et tous ses occupants sont tués.
Okill est là, sur le dessus du char de commandement, et partout autour de lui les balles sifflent, des explosions ont lieu, il y a tellement de chose qui se passent au même moment, il n’a pas le temps d’avoir peur : dans ces moments là, vous êtes occupé à essayer de vous en tirer et faire votre travail.
Okill atterrit les pieds secs sur la plage et ses compagnons et lui se rendent à la plage Juno dans la ville de Bernières-sur-mer, mais croyez-le ou non, ils se retrouvent pris dans un bouchon! Il n’y avait pas assez de place pour que deux chars d’assaut passent en même temps, alors ils doivent faire la file. Ils sont arrêtés et attendent de passer quand un couple de personnes âgées s’approche avec une bouteille de vin et une coupe. Ils pointent Okill et il leur répond « OUI! Je ne sais pas ce que c’est mais OUI ». Il se retrouve avec un verre de Calvados. C’est de l’alcool très fort! Et Okill dit qu’après que tout le monde dans le char ait bu de cet alcool, ils ont arrêté de parler pour environ cinq minutes!
Ils se dirigent ensuite pour aller prendre leur première position et c’est alors qu’un char près du leur qui avait encore ses mines se fait tirer dessus par les Allemands. Ils sont sur l’emplacement où le char d’Okill devait se trouver. Mais ils n’avaient pas pu s’y rendre parce que d’autres chars y étaient déjà, alors ils étaient retourné à un autre emplacement près de la plage où ils avaient atterrit. Un jeune homme français d’environ 14 ans portant un béret noir leur fait signe que l’emplacement où le char se trouve est miné. Okill lui demande comment il sait ça. Le garcon dit que c’est lui qui a miné le champ sous l’ordre des Allemands. Okill lui dit « Ah bon? Alors montre-nous le chemin pour passer ». Le garçon refuse. « Il est hors de question que je passe là!». Mais Okill pointe son fusils sur lui et lui dit « Oui, tu y vas. Monte sur le char et montre-nous où passer ». Ils réussissent à passer sans problème et arrivent à l’endroit de leur première position.
La première nuit, n’ayant aucun endroit où aller, Okill rampe sous le char alors que les avions allemands tirent et que des bombes tombent partout autour d’eux. Il ressent alors la peur. Il n’avait rien d’autre à faire ou à penser. Inutile de dire qu’il n’a pas dormi. Il dit qu’il pense ne pas avoir dormi pendant les trois premiers jours. Après quelques jours, les choses se stabilisent un peu et ils peuvent entrer plus loin et se battre. Comme par exemple pour sécuriser un aéroport pour le rendre disponible à leurs pilotes et avions. Sa division effectue la plus profonde pénétration dans le territoire de toutes les forces en présence durant le premier jour. Durant ce premier jour, ils se rendent à la limite de la ville de Caen et ils sont ensuite repoussés. Ils bombardent Caen et lorsque finalement ils y entrent, ils ne peuvent même pas passer dans les rues tellement il y a de destruction.
La bataille de la poche de la Falaise a lieu environ une semaine plus tard. Ils entourent les Allemands et les bombardent, alors que ces derniers essaient de s’enfuir. Okill dit qu’il n’a jamais vu autant d’équipement brûlé. Et il se souvient de l’odeur de la mort. C’est la seule fois qu’il a vraiment senti la mort. Des Allemands morts, des vaches mortes, des chevaux morts… c’était un moment horrible.
Ils ont participé à beaucoup de vilains combats en Normandie. Vous prenez une ville, les Allemands la reprennent, vous recommencez. Vous êtes bombardés par vos propres troupes qui font une erreur en essayant de bombarder les Allemands… tellement de choses se sont produites.
Ensuite, c’est la Belgique, le canal Léopold, entre la Belgique et la Hollande. Beaucoup de vilains combats là-bas aussi. Une nuit, les Allemands brisent une digue et Okill a juste le temps de se déplacer avant d’être inondé.
Durant la bataille des Ardennes, Okill dort dans un lit (pour la seule fois de la guerre), il est en congé quand le propriétaire de la maison où il est vient le voir, le réveille et lui apprend que ses armes ont été prises et qu’ils sont maintenant dans le mauvais sens. Les Allemands ont réussi à passer et on ne sait pas dans quelle direction ils viennent. Il fait froid, il neige, les avions sont inutiles. Lorsqu’Okill rejoint la position où se trouvent ses armes, le ciel s’est éclaircie, le soleil est apparu, les avions peuvent voler et repousser les Allemands. Il s’agit de la dernière grande offensive allemande de la guerre.
Un de moments forts du temps qu’Okill passe à la guerre se produit dans une petite ville. Tout est tranquille dans cette ville, aucun mouvement. C’est étrange, quelque chose ne tourne par rond. Il est supposé monter une nouvelle position pour ses armes. Derrière lui, sortant du sous-sol d’un moulin à vent arrive le maire et les citoyens de la petite ville. Okill va leur parler et ils se mettent à l’embrasser et le serrer dans leurs bras. Okill leur dit « N’avez-vous pas déjà assez embrassé et serré dans vos bras l’infanterie lorsqu’elle est arrivée hier? » Le maire répond « Vous êtes le premier ». « Quoi? Où est notre infanterie? » . « Les Allemands l’ont repoussé, elle est un mile derrière vous ». « Et où sont les Allemands? ». « Exactement à l’endroit où vous êtes en train de positionner vos armes, à la limite de la ville »... Okill est perplexe. « Que voulez-vous dire? ». Le maire répond « Oh oui, regardez, le bord de la route, vous allez voir leurs chapeaux dans le fossé ». Okill est stupéfié. « J’étais juste là, pourquoi ne m’ont-ils pas tué? ». Le maire dit « Ohhh, ils attendent plus grands et importants! » S’il y a jamais eu un moment où vous êtes heureux de ne pas être considéré «assez important », c’et à ce moment là.
Okill appelle ses hommes et ils déplacent leurs armes un peu en arrière. Le maire leur dit que le clocher de l’église est un poste d’observation où se trouve un officier allemand en ce moment, et qu’il les regarde. Donc la première chose qu’ils font est d’abattre le clocher. Bonne idée.
Et quel est le nom de la ville où tout ça se déroule, vous demandez-vous? Et bien, croyez-le ou non, la ville porte le nom de Saint-Lambert.
La guerre se termine juste après qu’Okill ait atteint l’Allemagne.
Lorsqu’on lui demande ce qu’il pensait des Allemands pendant la guerre, Okill dit qu’ils n’ont entendu parler de l’Holocauste que seulement au moment où les troupes sont entrées en Allemagne. Avant cela, ils savaient seulement qu’Hitler était mauvais et devait être arrêté. Il n’avait aucune autre opinion des combattants allemands. C’est ce qu’il devait faire, c’était son devoir.
Après la guerre, Okill reste en Europe où il dirige un club nautique, en attendant d’être ramené au Canada. Après son retour à Saint-Lambert, Okill a fait une longue carrière en tant qu’agent immobilier et il vive encore à Saint-Lambert aujourd’hui*.
Okill Stuart a reçu et continu de recevoir beaucoup de médailles et d’honneurs, pas seulement pour ce quil a fait pendant la guerre, mais pour tout ce dans quoi il a été impliqué tout au long de sa vie, et est encore impliqué à ce jour. La liste est longue et complète, comme elle doit l’être. Okill Stuart est un homme plus grand que nature.
Je ne peux le remercier assez d’avoir accepté de partager son histoire avec moi et de m’avoir permis de le prendre en photo dans le cadre de mon projet.
Okill Stuart est aussi un des directeur-fondateur du centre Juno Beach en Normandie.
*Okill Stuart nous a malheureusement quitté en juillet 2019 à l’âge vénérable de 98 ans. J’offre mes plus sincères condoléances à sa famille et ses proches. Nous avons perdu un grand homme.
Photographe(r) / Montréal
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